Assurance : un monde en pleine (r)évolution
Par Pierre-Nicolas Dahm, Head of Actuarial Function, Generali Luxembourg
Le monde de l’assurance est en pleine mutation et doit constamment faire face à de nouveaux challenges. L’émergence des nouvelles réglementations et de nouvelles directives, bien qu’elles apportent davantage de transparence et d’information pour les clients et les investisseurs, ne sont pas neutres au niveau de leur déclinaison opérationnelle pour le quotidien des compagnies d’assurances. Ajoutons à cela la compétitivité grandissante des acteurs sur le marché de l’assurance, que ce soit au niveau de l’innovation technique ou de l’innovation produit. Petit tour d’horizon des nouveautés et des thématiques auxquelles les entreprises d’assurance vont être ou sont déjà confrontées.
Investir de manière éco-responsable …
Depuis ces dernières années, une grande importance est accordée aux sujets liés à l’économie réelle, des critères ESG et labels ISR des produits d’assurance et fonds d’investissement. Cet engouement pour l’éco-responsabilité traduit les préoccupations grandissantes des investisseurs, mais également des acteurs du secteur financier, comme les compagnies d’assurance, afin de soutenir le développement durable et assurer la transition écologique pour le bien des générations à venir.
Au-delà de l’obtention des labels attestant de la conformité d’un fond d’investissement ou d’un produit d’assurance-vie par rapport aux critères ESG, un cadre réglementaire accompagne la mise en place de cette transformation durable des entreprises d’assurance-vie. Cette réglementation, portant le doux nom de SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) impose aux acteurs financiers un ensemble de contraintes, notamment de transparence vis-à-vis des clients sur la politique de développement durable. Cette transparence s’applique tant à l’entité financière qu’aux produits que celle-ci propose à ses clients.
Cette thématique de finance durable implique par ailleurs l’émergence de nouveaux risques pour les entreprises d’assurance, lesquels pourraient influer sur d’une part, le profil de risque de l’entreprise et d’autre part, sur la stratégie de développement de cette dernière. Si nous prenons à titre d’exemple le cas du réchauffement climatique, sujet en vogue depuis quelques années, l’impact de ce phénomène va jouer sur de nombreux facteurs, parmi lesquels le taux de mortalité de la population, en particulier celui des personnes âgées, ou encore l’avènement des premiers « réfugiés climatiques », notamment à Madagascar, fuyant la famine et la détresse alimentaire. D’où la nécessité pour les entreprises d’assurance de prévenir ce risque au niveau de leurs modèles actuariels et de ce fait ajuster la tarification de leurs produits. Anticiper ces évolutions et les incorporer dans les offres produits constitue le prochain challenge pour les compagnies d’assurance.
... sous la contrainte de la solvabilité…
La Directive Solvabilité 2, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, a permis aux entreprises d’assurance et de réassurance de se doter d’un arsenal d’indicateurs permettant d’attester de la solidité et de la stabilité financière de leur entreprise. Ces indicateurs permettent également de comparer les différents acteurs de manière uniforme, et peuvent ainsi jouer un rôle stratégique important dans le développement d’une entité.
Néanmoins, cette directive a introduit un changement de paradigme par rapport à l’ancienne. En effet, là où Solvabilité 1 se basait sur une photographie instantanée de l’entreprise pour déterminer sa solidité financière, Solvabilité 2 incorpore une notion de temporalité. Ce changement de monde, statique versus prospectif, a nécessité de la part des différents acteurs un temps d’adaptation pour maitriser les enjeux sous-jacents, en particulier les hypothèses sous-tendant ces calculs. En effet, les résultats de solvabilité d’une entreprise d’assurance sont non seulement liés à des facteurs exogènes, comme par exemple la volatilité des marchés financiers, mais également à des facteurs endogènes, à l’image des hypothèses de taux de rachat par exemple.
Par ailleurs, les acteurs de la place luxembourgeoise ont recours en majorité à la Formule Standard telle que définie dans la Directive pour effectuer les calculs de solvabilité. Bien qu’elle ait le mérite d’exister, cette Formule Standard n’est cependant pas exempte de défaut, eut égard notamment aux simplifications dont elle fait preuve pour déterminer les besoins en capitaux de solvabilité. Ces défauts de jeunesse, osons les appeler comme tels, seront prochainement corrigés avec la revue intervenant d’ici à fin 2022. Cette révision de la Directive a notamment pour objectif d’alléger la charge en capital des compagnies d’assurance.
Cependant, une autre réglementation va venir rebattre les cartes des indicateurs de solvabilité et de rentabilité. Il s’agit de l’entrée en vigueur prochaine de la norme comptable IFRS17, dont l’objectif est de présenter différemment le compte de résultat d’une entreprise d’assurance. Cette norme suit la même logique que la Directive Solvabilité 2, dans le sens où elle introduit également le concept de temporalité pour déterminer le résultat d’une entreprise. Même si les notions intervenant dans IFRS17 sont similaires à certaines de Solvabilité 2, les deux normes poursuivent des buts différents, avec également une approche différente. En effet, là où Solvabilité 2 considérait chaque contrat d’assurance de manière indépendante, IFRS17 introduit deux concepts importants :
- Le premier est le concept de cohorte, par lequel l’entreprise doit regrouper dans une même catégorie les contrats émis sur la même année comptable ;
- Le second est le concept de contrat onéreux : un contrat est considéré comme onéreux par la norme IFRS17 si, au moment de la comptabilisation de ce dernier, les dépenses et engagements consentis par l’entreprise sont supérieurs aux revenus qu’elle est en mesure de dégager de ce dernier.
De ces deux concepts en résulte une analyse et une présentation du compte de résultat de l’entreprise beaucoup plus détaillées, et sans doute plus complexes, que celles actuellement en vigueur. Ajoutons à cela le caractère prospectif, soit la prise en considération des flux de trésorerie futurs dans la présentation du compte de résultat, et l’équation comptable se complexifie de manière significative.
…tout en gardant de l’efficience opérationnelle et digitale…
N’oublions pas cependant que pour pouvoir établir l’ensemble de ces analyses comptables et actuarielles, tout un ensemble de données internes et externes aux entreprises d’assurance sont nécessaires. Suivant la taille du portefeuille de l’entreprise d’assurance, cela peut représenter une quantité colossale de données qui doivent être extraites, traitées, vérifiées et consolidées pour pouvoir être exploitées de manière appropriée. Il s’avère ainsi nécessaire pour les entreprises d’assurance de se doter d’outils performants pour être en mesure de produire les calculs et analyses dans des délais de production qui sont de plus en plus court.
Un élément de réponse pour résoudre ce problème d’efficience opérationnelle sur le traitement des données à des fins d’établissement des états financiers, tant pour le reporting Solvabilité 2 que pour la norme IFRS17, se trouve dans la mise en place d’une base de données centralisée regroupant non seulement les données relatives aux polices d’assurance, correspondant aux données du passif, mais également les données afférentes aux sous-jacents de ces polices, correspondant aux données de l’actif. Cette base de données, ou Data WareHouse (DWH), est un outil puissant permettant d’avoir un point unique de centralisation de l’ensemble des données de l’entreprise, et d’effectuer des extractions de données de manière rapide, simple et efficace.
En dehors de l’établissement des états financiers, un autre axe d’amélioration pour les entreprises d’assurance afin de renforcer leur efficience opérationnelle est à chercher au niveau de la saisie des données de contrats clients. En effet, l’encodage d’une opération dans le système de gestion d’une compagnie d’assurance-vie peut être une étape non seulement chronophage, mais également source d’erreur lors de la saisie d’un paramètre dans le système : ne dit-on d’ailleurs pas que l’erreur est humaine ? Dans ce contexte, de plus en plus de compagnies d’assurance ont recours à des logiciels Robotic Process Automation (RPA), lesquels sont conçus pour traiter des tâches spécifiques et répétitives de manière extrêmement rapide et avec un taux d’erreur très faible.
Par ailleurs, la majorité des acteurs sur le marché de l’assurance propose aujourd’hui à leur client et à leur partenaire un parcours de souscription 100% digital, besoin qui a été intensifié avec la crise sanitaire du coronavirus. Ce type de plateforme permet entre autres de soulager les effectifs en charge de la gestion des contrats clients : en effet, les parcours de souscription en ligne permettent une intégration automatique des données clients et des données du contrat directement dans le système de gestion de l’entreprise, ce qui représente de ce fait un gain de temps au niveau de la saisie des contrats dans le système. Le temps ainsi dégagé au niveau des équipes du back office permet à ces dernières de se focaliser davantage sur des tâches à valeur ajoutée pour l’entreprise.
Le recours massif à des outils digitaux et au télétravail dans le cadre du contexte sanitaire a également mis en exergue le risque cyber auquel sont exposés les acteurs du secteur financier. Que ce soit à travers des cyberattaques ou des tentatives de phishing, les compagnies d’assurance sont davantage soumises à ce risque, et aux conséquences financières et réputationnelles que cela peut engendrer. Mentionnons également que la réglementation GDPR (General Data Protection Regulation) impose également aux compagnies de s’assurer de la protection et de la confidentialité des données clients, laquelle pourrait être soumise à rude épreuve en cas de cyberattaque vis-à-vis d’une compagnie d’assurance.
…avec l’appui des actuaires.
Le triptyque représenté par la nouvelle réglementation, la solvabilité et l’efficacité opérationnelle constitue ainsi la pierre angulaire pour le futur déploiement stratégique de toute compagnie d’assurance. Comme nous l’avons évoqué plus en avant dans cet article, la mise en place de ces différentes thématiques au sein des compagnies d’assurance va avoir une influence significative sur le développement et le positionnement stratégique des différents acteurs de la place.
Dans ce contexte, le recours à différents experts métiers, que ce soit au niveau légal, au niveau conformité ou au niveau financier, s’avère primordial pour le Comité de Direction. L’avis de ces différents experts est en effet nécessaire pour permettre le déploiement du plan stratégique des compagnies d’assurance. En particulier, pour affiner et orienter ces décisions, le Comité de Direction peut s’appuyer notamment sur les avis et les recommandations de leur équipe actuarielle. En effet, que ce soit au niveau de la gestion des risques, de la souscription ou de l’établissement du bilan, les actuaires possèdent les compétences techniques pour accompagner les entreprises d’assurance dans la mise en application de ces différentes thématiques. Les actuaires ont à ce titre un rôle de premier ordre dans le développement stratégique des compagnies d’assurance.
Ainsi, en plus des travaux classiques de valorisation incombant aux actuaires, la Fonction Actuarielle doit se prononcer notamment sur la politique de souscription de l’entreprise pour laquelle elle travaille. Dans ce contexte, la Fonction Actuarielle aide à la définition des indicateurs de rentabilité permettant d’orienter la politique de souscription de l’entreprise d’assurance, et de ce fait le développement de l’entreprise pour les prochaines années.
De manière analogue, la Fonction de Gestion des Risques contribue de manière significative à la croissance d’une entreprise d’assurance. En effet, outre la détermination des besoins en capitaux et donc du ratio de solvabilité de l’entreprise, la Fonction de Gestion des Risques aide à la définition du cadre d’appétence aux risques de l’entreprise. Ce cadre permet ainsi à l’entreprise d’accepter ou non certains risques (par exemple souscription dans un pays hors EEE), ou de définir des limites d’acceptation sur certains type d’actifs (par exemple private equity).
Par ailleurs, les data scientists ont également un rôle à jouer dans l’analyse des données clients ou des données marchés. Leurs connaissances techniques sur le machine learning et le big data constituent un atout majeur pour aborder les problématiques liées à l’efficience opérationnelle ou la tarification des nouveaux produits d’assurance.
Ainsi, pour faire face à ces différents challenges, présents et à venir, il s’avère nécessaire pour les compagnies d’assurance de disposer de connaissances techniques et métiers pour appréhender de manière appropriée les impacts financiers et économiques de ces divers changements et évolutions réglementaires. Les actuaires sont de ce fait des interlocuteurs privilégiés pour épauler le Comité de Direction des entreprises d’assurance dans leurs décisions de développement stratégique, et ce afin d’accompagner la croissance rentable de leur entreprise.